la commissure des sèves
Jésus est désespéré. Un de ses amis vient d’être assassiné. Un autre reconduit à la frontière. Le troisième a été arrêté dans un café de Lille. Il frappe un caillou du pied, et crie. Car il souffre. Il jure dans sa tête, mais il sait que tout le monde l’entend. Alors il décide de se faire couper les cheveux, de se faire raser la tête. Il ôte ses lunettes noires. Et voit une jeune femme qui traverse la rue, nue. Jésus se souvient des voyages à Katmandou, des méditations transcendantales et des conférences sur Tagore. Il murmure tendrement la douleur du monde, tremble sous les nuages, réfléchit à l’avenir. La sylphide vient vers lui. Il est troublé. Elle sourit et chante un extrait de lamento. J’ai vécu à Auroville. J’ai connu Mira Alfassa. Jésus hausse les épaules, dubitatif. J’ai fréquenté des êtres encore plus importants. Et cela n’a servi à rien. J’ai fait la fête avec des clochards, volé dans les airs, sauvé des oiseaux mazoutés, erré dans des déserts. Il exhibe un hamburger. J’avais quand même de quoi manger. Je l’avoue. Elle lui dévoile une cicatrice. Placée là où Jésus ne devrait pas regarder. Mais c’est plus fort que lui. Cette attirance pour les courbes salvatrices, les reflets mordorés de la peau, la délicatesse des allusions. Si tu le souhaites, nous pouvons faire un bout de chemin ensemble. Pourquoi pas. Le stop ne marche plus, tout le monde se méfie de moi et de mes prophéties. Je suis chassé de partout. On me dit de ne plus revenir, d’aller caresser les alouettes de l’abîme et de cultiver des fruits en enfer. Je perturbe. Je dérange. Et puis, je ne supporte plus cette tunique déchirée. Mon sac à dos a pris l’eau et mes vêtements sont moisis. Elle répond qu’elle possède un camping-car, deux vélos électriques et un jerrican d’alcool de banane. Un cadeau d’un poète rwandais. Pas de pastis ? Elle s’étrangle. Du pastis ! Oui, avec des glaçons. J’ai soif et j’ai la gueule de bois. Vague à l’âme et migraine, c’est trop pour un seul homme, enfin pour ce que j’en dis. Mais tu as des arguments. Je ferai bien un peu de rhétorique avec toi.  C’est quoi la marque de ton véhicule ?