la commissure des sèves
J’en ai assez me dit-il, par-dessus l’auréole. J’étais venu avec de bonnes intentions, je repars dégoûté. J’ai mal analysé la situation. Chaque année c’est pareil. Les clous, la croix. J’ai l’impression qu’elle est de plus en plus lourde. Il sourit, montrant par là qu’il conserve son esprit facétieux, je crois que je vieillis. En plus il y a de moins en moins de spectateurs. Alors, la route, le fouet, les insultes, c’est trop. Je fatigue. J’ai l’air de quoi avec mes Romains au vingt et unième siècle. Chaque année Barabas se moque de moi ; il connaît la suite. Et me déclare : quand tu attires les foules, je peux reprendre le travail. Tiens, si j’étais honnête je te donnerais un pourcentage. Mais, bon, je ne suis pas honnête.

Moi je mange tous les mercredis avec Jésus. Je le plains. Un peu. Pas trop. Il est quand même né dans une bonne famille. Enfin, je pense. Il ne parle jamais de sa mère. Il adore les merguez. Boit du thé chinois. Fume de la marijuana. Tu vois, explique-t-il, je prends de mauvaises habitudes à chaque époque que je traverse. Bientôt je vais me déplacer en trois D. Dès fois je me laisse aller, je rêve de la fin du monde. Les hommes y travaillent, mais ils le font en amateur. Si l’univers  n’existait plus je ne serais pas obligé de revenir chaque année. Pour Noël j’ai trouvé une doublure. C’est facile. Les parents ne demandent que cela. Exposer leur progéniture en crèche. Pas de risque. Un coup de langue de bœuf ou d’âne. C’est tout. Mais pour Pâques, macache bono. Personne ne veut me remplacer. Surtout, qu’après il y a les prolongations. L’autre cinglé qui vient mettre sa main dans ma plaie. Et le traître, hein, le vrai traître, c’est qui, je te le demande : Judas ou Pierre ? Ben voilà, c’est Pierre. Toute cette histoire pour que des empereurs qui couchent avec leur sœur se mettent à persécuter ceux qui les ont persécutés. Au début, ce n’était pas convenu comme cela. Je venais racheter le péché originel. Je faisais quelques miracles puis je rentrais chez moi. Je me suis fait rouler par mon imprésario, je ne me suis pas méfié. Qui se méfie de son père ? Il m’observe : bon, tout le monde se méfie de son père. Mais je ne suis pas tout le monde.
Jésus ne veut plus mourir. Il souffre trop. Il trouve ses calvaires mal entretenus. Il ne supporte plus l’image de petites vieilles qui viennent pleurer sur les stations. Il a demandé qu’on les remplace par de jeunes femmes courtement vêtues. Mais on lui a répondu qu’il n’y avait pas de budget.

Alors, il a décidé que cette année il ferait grève.

Pour ne plus avoir à rouler cette pierre ignoble et devoir la replacer comme si de rien n’était.

Tu vois, avoue-t-il, cette fois je ne pourrai plus le faire. J’ai abandonné la muscu.